Le tango des vagues : se noyer dans sa fluidité

Encastré.e dans l’étendu de sable, douillet.te de cette accalmie, un oeil attentif, mais un peu naïf, à ce qui se prépare : le tango des vagues n’est pas dicté par les orientations astrales. Le ciel a beau se peindre de capricornes, de verseaux et de poissons, la mélancolie temporelle ne dirige pas les eaux. M’embarquant plutôt dans son bal intempérant, sans préavis, j’ai dansé avec ce corps à travers toutes ses métamorphoses ; je lui ai étampé les cris de mon âme pour signifier les changements de saisons. Pourtant, plus j’épluche les couches de ma dysphorie, moins je ne m’appartiens. Sur la glace du miroir est renvoyée l’image illusoire d’un corps que mon âme se peine à habiter. J’ai entamé mes seins, que j’avais décorés et sertis d’une féminité à se réapproprier. Être sexualisé, les cartes sur table, j’ai joué de ces atouts pour performer les rôles de mes organes génitaux. J’ai entamé mes seins et je ne les connais plus. Je me laisse porter vers une réalité parallèle et je flotte dans l’infini du déni. On ne peut me convaincre que je suis ici.

Négocier ses vérités tel un avocat féroce et affamé de mes dilemmes. Un capitalisme du soi incertain, comme paysan de son esprit, la dîme de la psyché nous est réclamée. La classe confiante est pour les riches. Construisez-moi un sous-marin que je me submerge dans cette caste souveraine voire utopique, question de me convaincre qu’elle m’est encore accessible, que je suis un.e aristocrate de l’hardiesse.

Ne faut-il pas se débattre une existence lorsque la diversité domine notre identité ? Mais, comment argumenter l’irréfutable lorsqu’on se trouve à table avec des experts de nous ? Le questionnement de sa propre validité alors que l’épuisement mène nos combats. Je suis imposteur.e, démasqué.e ; mes armes sont émoussées.

Sous le bistouri, on m’a reconstruit.e, en ressort alors la créature du chirurgien. Mon consentement n’est plus, pour ces dessins de scalpel sur cette chair qui a été mienne. Mon consentement n’est plus, pour parcourir le labyrinthe de ces cicatrices à répétition en espérant m’y retrouver. Parce qu’elles sont nouveaux-nés, je me dois devenir mère pour elles. La parentalité n’est pas d’actualité ; je suis moi-même vulnérable et à couver, j’ai régressé. Mon enfant intérieur est mieux performé sous mes conditions, mais à l’heure actuelle, les règles du jeu me sont inconnues.

À travers la tempête militaire de mon existence, j’interprète, je fabule puis j’hallucine alors que tout continue de se propulser. Le confort ne se trouve même pas dans mes divagations, néanmoins cette vision distorsionnée m’a corrompu.e. Pardonnez-moi ma névrose, j’attends encore que les heures de dissociation s’écoulent et laissent place à un peu de lucidité. Dois-je m’excuser à moi-même de me flageller de crises existentielles ? La solitude grandissante voire étouffante d’une guerre avant tout interne puis projetée vers l’extérieur. Je me fatigue de moi-même, je suis épuisé.e de l’épuisement, je n’existe plus. Ne me demandez pas de me définir, je vous rapporterais des paroles qui ne me font pas sens, je vous ferais croire que je suis encore.

Avis aux sauveteur.ices de ce monde : dans le bain de la fluidité, cette noyade n’aurait pu être évitée.

Appréciation du jury

Enlevant, portant, gracieux: le texte qui a remporté ce soir le prix Antidote pour la qualité de la langue a convié notre jury à se noyer dans un bain de réflexions sur l’identité, sur les renaissances, sur les mensonges qu’on tente de se raconter à soi-même et aux autres pour entrer dans la valse. Portés par des vagues de mots sélectionnés avec une délicatesse exemplaire, d’une fluidité qui glisse sur l’esprit, nous sommes fiers de souligner ce texte criant de vérité désarmante.

Blake Gauthier-Sauvé

Prix de la qualité de la langue Antidote 2023