La vulgarité de vouloir être aimée

Autour de 6 h. Elle est en train de couper des tomates dans la cuisine pendant que lui, dans le salon, les deux souliers su’le divan, gosse avec son cell.

La fille : Mon chat, tu peux-tu juste ramasser tes clés s’te plaît?

Le gars : Ouais ouais, juste deux minutes, je finis ça.

La fille : Non mais, please, ça va prendre deux secondes, elles traînent déjà depuis hier.

Le gars : Justement.

Silence.

La fille : De quoi, justement?

Silence.

Le gars : Y’a personne qui va mourir si mes clés traînent encore un peu.

La fille : Mais c’est sale, on mange à c’te place-là. Come on.

Le gars : J’les ai juste oubliées. C’est tout, là.

Silence.

Elle : Pourquoi t’utilises pas le p’tit pot que j’t’ai acheté?

Lui : Parce que c’est pas dans l’entrée que j’es sors de mes poches, mes clés. C’est rendu dans’ cuisine.

Elle : Ça fait aucun esti d’sens, c’que tu dis. Mon chat. On est deux à vivre icitte. C’pu comme quand t’avais 16 ans avec ta gang de chums. On est des adultes. Des adultes, ça s’range un peu.

Lui : Pi les adultes ça s’gèrent. T’es tellement toujours en train d’me tomber d’ssus pour des conneries.

Elle : Heye c’pas vrai ça. Tomber empoisonnés parce que y’a trop d’bactéries dans l’souper, c’est des conneries?

Lui : C’tu vraiment un truc de bactéries ou bin c’t’encore toi qui capote pour rien?

Elle : Lis donc le Protégez-vous à place de gamer tout l’temps. Tu verrais qu’c’est vrai c’que j’dis.

Lui : J’peux bin faire c’que j’veux. T’essayes tout l’temps d’me contrôler anyway. C’pas comme si j’avais besoin d’réfléchir par moi-même.

Elle : C’tellement pas vrai!

Silence.

Elle : Si t’agissais pas tout l’temps comme un enfant, j’aurais pas besoin d’te contrôler.

Lui : Ostie, Cath, t’es pas ma mère.

Elle : Non pis une chance parce que j’serais gênée.

Maxime ramasse ses clés.

Lui : Calisse que t’es bitch.

Elle : Calisse que t’es slack.

Lui : Non. Ça c’pas vrai.

Maxime dépose ses clés dans ses poches.

Lui : Tin. T’es contente? Tu vas pouvoir licher le comptoir à c’t’heure.

Elle : Au moins y’a quelqu’un qui va licher de quoi icitte.

Silence.

Catherine : C’quand même une bonne joke. Come on. Souris donc.

Maxime : Reviens-en esti d’tes niaiseries de féministes frustrées.

Catherine : De quoi tu parles? Ok, j’veux qu’on soit égal, mais j’pas féministe pour autant.

Maxime : J’te l’dis moi, c’est du brainwash d’Abattoir à marde.

Silence.

Catherine : C’est pas vrai.

Silence.

Catherine : Tu me verrais tu t’dire que j’veux pas te sucer?

Maxime : C’pas pareil, mon bat y sent pas le rat mort Cath.

Catherine : Pour vrai là? Tu penses que ton pénis tout puissant, c’est genre un popsicle aux fraises? Wake up sacrament.

Maxime : Y’est pas en train de saigner la moitié du temps, c’est d’jà ça.

Catherine : Ça veut pas dire que ça m’tente tout le temps.

Maxime : Bin non, on l’sait bin, t’aimerais mieux aller voir Julie.

Catherine : Tu vas-tu en revenir, un moment donné, pour vrai?

Maxime : C’est toi qui arrête pas d’y penser.

Catherine : Man. C’était un french. Une fois. Ça fait genre 2 ans.

Silence.

Catherine : Je m’excuse, mon chat, je l’sais qu’ça t’as fait chier. J’pensais vraiment pas qu’ça dérangerait pis j’m’en veux full.

Maxime : On dirait plus que tu t’en crisses.

Catherine : Ah ok parce que c’est toi qui décide comment j’me sens?

Maxime : J’pas cave, j’l’ai vu comment tu feeles quand tu la textes.

Catherine : Pi comment j’feel?

Maxime : Tu feeles colleuse. C’est une fille, calisse, Cath. J’sors tu avec une lesbienne moi là?

Catherine : Zéro. C’est quoi la différence entre ça pis la fois avec Marion, à part que là c’est moi qui a décidé?

Maxime : Marion c’tait pas ton amie. Marion a briserait pas notre couple.

Silence.

Maxime : Penses-y, pour vrai. Faut qu’tu lâches Julie. Est en train de tuer notre couple. Tout ce qu’on a construit. Notre royaume de chats.

Catherine : C’tellement pas vrai. Julie c’est quasiment ma sœur.

Maxime : Une sœur que t’embrasses sur la langue. Bin oui toi.

Long silence.

Catherine : R’garde. J’sais pas c’que t’as, mais j’me sens pas bien quand tu m’parles de même.

Maxime : C’est toi qui m’attaque tout l’temps!

Catherine : Voyons donc, c’pas vrai!

Maxime : Ah non? Faque toi t’es blanche comme neige là-dedans?

Catherine : C’est pas ça Maxime, c’est juste que genre, j’essaye fort.

Maxime : Moi aussi j’essaye fort, pis c’est jamais assez pour toi. Tu m’fais tout l’temps sentir comme d’la marde. C’est tout l’temps ça.

Catherine : C’pas vrai… Heye le trois quart du temps j’t’encourage. Encore c’matin, j’te disais comment j’les aime les nouveaux rideaux qu’t’as posés.

Maxime s’éloigne de la cuisine.

Maxime : Le voisin aurait pu l’faire. T’as pas besoin d’moi pour poser des rideaux. T’as pas besoin d’moi pantoute.

Catherine : C’pas vrai mon chat… Y’a jamais personne d’autre qui va m’aimer comme toi.

Catherine recommence à faire à souper, amère, mais avec la certitude d’avoir ce qu’elle mérite.

Appréciation du jury

Notre équipe avait décidé cette année de brasser les cartes un peu, d’offrir aux participant·e·s la forme de leur choix pour créer sur le mensonge et ses frontières. Il va sans dire que cette nouveauté n’est pas tombée dans l’oreille d’une sourde. Notre jury a été happé non seulement par le propos de la courte scène gagnante du troisième prix, mais également par la langue qui la compose. Le dialogue acide qui débute avec une simple demande et se termine dans l’amertume est porteur d’une réalité conjugale qui peut sembler anodine, et qui pourtant revêt une violence qui mène à se mentir à soi-même.

Eli San

Troisième prix