
Mon chez nous
« J’veux m’en aller chez nous ». Ces mots-là, je les ai lus pour la première fois sur un post-its que t’avais laissé à côté de l’ordinateur après avoir parlé à Clément, Christian, Charles, name it. N’importe lequel qui commence par c pis qui te permettait de te sentir bien deux secondes dans ce corps que t’habitais et dans cet environnement qu’on partageait. Ces mots-là, t’aimais ça les écrire, les dire, les crier. Longtemps, je les ai lus dans ma tête. J’les répétais à voix haute comme une pièce de théâtre sans l’ovation que tu ne me donnais pas. En tentant de changer des lettres, la ponctuation, l’intonation, je tentais de leur donner un sens. Un sens qui, j’espérais, allait taire le shake qui me pognait à chaque fois que ces mots-là planaient, parce qu’il était où ton chez vous s’il n’était pas avec moi?
T’écrivais tellement bien quand ce n’était pas sur des post-its. T’en rappelles-tu? Des fois, tu m’écrivais des cartes. Parfois, tu m’ajoutais même trois x à la fin suivis de trois points. Comme pour me dire que ton amour continuait au-delà de ces trois lettres-là. Les meilleures journées. Tu connaissais ma fascination pour ta façon de calligraphier la lettre g. Longtemps, j’me suis demandée comment des g avec autant de grâce pouvaient coexister avec les paroles grasses qui sortaient de ta bouche. Sauf dans les bonnes journées. Au fond, les g, c’étaient comme tes bonnes journées : une sur 26. Plus rare dans tes mots du quotidien, mais bien présent dans tes « grosse innocente », « ta gueule », « tu gâches ma vie ».
Ta dernière carte, je l’ai lue il y a trois ans. Ces mots-là, je les lis encore dans ma tête. Une fois de plus, sans aucun autre sens possible. Les pires journées. « Je veux que tu saches que tu n’as rien gâché, tu as su tenir, à toi seule, ce qui était déjà brisé depuis toujours ». Première fois que ton g était beau dans ce mot-là.
Longtemps, quand t’étais encore là, j’ai pensé que j’étais responsable de tes mauvaises journées. J’attendais les bonnes comme on attend que notre mère trouve notre cachette après avoir compté jusqu’à dix. Toi, maman, t’étais la meilleure dans les cachettes. Toujours cachée dans les endroits les plus sombres et difficiles à atteindre. Comme aujourd’hui.
Si j’pouvais t’écrire une carte maintenant, je t’écrirai que je souffre moins et que je comprends plus. Je t’écrirai que je t’ai aimée même quand tu t’haïssais. Tu pourrais y lire les bonnes comme les mauvaises journées, la souffrance comme l’amour au-delà des x. Si les troubles de santé mentale avaient une calligraphie maman, ce serait celle que tu utilisais pour faire tes g. Je cherche parfois encore le sens, mais j’espère qu’un jour, ton chez vous va être avec moi. À quel moment le dix arrive pour qu’on puisse se retrouver?
