Ma forêt encensoir

nous marchons
loin des chemins bitumés
du sarcasme de l’étalement urbain
des espaces cadastrés
aux immeubles hauts perchés
qui balafrent l’horizon

nous parcourons les sentiers
à l’écart de la cohue citadine
notre évasion
pour trouver la sérénité
humer les odeurs forestières
pour parler à nos morts
ensevelir nos secrets
à l’ombre des peupliers
dans les entrailles de la forêt
cathédrale de plénitude

j’écosse nos bonheurs
sous le feulement du vent
une vigie
pour la splendeur
une célébration de la nature

mais le climat se dérègle
un soleil ardent
nous courons
nous étuvons
un danger plane
au-dessus de nos têtes
fait fondre notre peau
une lueur assassine
embrase le ciel
il pleut des tisons
tout s’enflamme
de la cime aux racines
il ne reste
qu’une haleine fumante
au-dessus des débris
épitaphes
de notre forêt calcinée
et nos corps en berne
tentant de survivre
à l’assassinat de notre territoire

nous sillonnons les cendres encore chaudes
de la catastrophe
traçant des fossés
pour verser nos larmes

tout agonise devant nous
tu demeures impuissant
face contre suie
et je meurs derrière moi
désemparée par le désastre

ce jour-là
la géographie de mes pas
s’est arrêtée
où j’ai posé mes pieds
plaques tectoniques
en attente d’un glissement

depuis
nous arpentons les rues bétonnées
les mains meurtries
à force de serrer les poings
et brandir des pancartes

ma voix   ta voix
nos armes de pugilistes
scandent des slogans
pour que cessent
les maux de la terre
pour que perdure
la vie
avant notre mort
retrouverons-nous
nos sentiers
portant à bout de bras
nos ivresses
comme des trésors

notre royaume renaîtra-t-il
de ses cendres
pour que nous puissions
corps en cavale
épeler la beauté

nos actions
de survivants
suffiront-elles
à éradiquer
ces drames

nous ne cesserons
de crier nos peines
de hurler nos plaintes
d’épouvante
malgré les affres
de la bêtise humaine

Céline Jodoin

Troisième prix